Courtry Une association d’amoureux du Fort de Vaujours se bat pour sa
sauvegarde.
Ils veulent sauver le fort atomique en y créant un musée
Courtry. Une association d’amoureux du fort de Vaujours se bat pour la
sauvegarde du site qui abrita des expérimentations d’explosifs à base
d’uranium.
Marion Kremp | Publié le 13 juin 2013, 07h00
Courtry, le 8 mai. Dans un lieu où la nature a repris possession des 45
ha du fort, l’association l’Effort de Vaujours (à gauche) entretient et rénove
une partie de la batterie sud, qui leur a été confiée par la communauté
d’agglomération Marne et Chantereine. Ces « gardiens du fort » se
relaient tous les jours, comme dans cette salle d’étude des composés explosifs
(en bas à droite). Courtry, le 8 mai. Dans un lieu où la nature a repris
possession des 45 ha du fort, l’association l’Effort de Vaujours (à gauche)
entretient et rénove une partie de la batterie sud, qui leur a été confiée par
la communauté d’agglomération Marne et Chantereine. Ces « gardiens du
fort » se relaient tous les jours, comme dans cette salle d’étude des
composés explosifs (en bas à droite). (LP/M.K.)
Une petite porte fondue dans le haut grillage. Derrière, une jungle végétale
à travers laquelle seul un 4 x 4 ose s’aventurer. Pour pénétrer dans le fort de
Vaujours, il faut montrer patte blanche aux gardiens. L’association l’Effort de
Vaujours s’est vu confier les clés de la batterie sud par le propriétaire, la
communauté d’agglomération Marne et Chantereine. L’espoir de la trentaine de
passionnés du fort est d’y ouvrir un jour un musée de la fortification et de
l’histoire industrielle du site du Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
Passé l’enchevêtrement anarchique de décombres et de broussailles qui
s’étend sur les 45 ha de cet ancien site d’expérimentation d’explosifs du CEA,
les fortifications frappent par leur bon état. Bien installés sous l’une des
voûtes de la batterie sud, les membres de l’association commencent leur journée
par un café avant de se mettre au travail. Ils entretiennent à leurs frais la
partie la mieux conservée de la batterie sud. Des jardinières en fleurs ainsi
que quelques parterres aux pétales colorés décorent la cour.
Dans un large imperméable qui lui descend jusqu’aux pieds, chaussés de
godillots de marche, Lisa Leclerc fait figure de chef de bande. « Nous
sommes tous attachés au fort pour des raisons différentes, certains pour
l’histoire, d’autres pour l’architecture fortifiée et d’autres encore pour la
radioactivité et l’histoire nucléaire », explique la présidente de l’Effort de
Vaujours. « Nous voulons que cela devienne un endroit où les gens
pourraient enfin savoir ce qu’il s’est passé », lâche Hélios, 27 ans, le
vice-président de l’association dont le pseudonyme masque l’identité.
Placée sous secret-défense, l’histoire atomique du fort reste pleine de
mystères. C’est ici que le détonateur de la première bombe atomique française
« Gerboise bleue » a été développé dès 1955. Durant près de quarante
ans, des explosifs à base d’uranium y ont été testés .
Une pollution radioactive résiduelle persiste sur le site
La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la
radioactivité (Criirad), assure qu’une pollution radioactive résiduelle
persiste sur le site. Tandis que BPB Placo (ex-Placoplâtre), propriétaire de 33
ha du site, projette d’y ouvrir une carrière de gypse à ciel ouvert à l’horizon
2015.
L’association qui s’était un temps rapprochée du géant plâtrier avec l’idée
du musée en tête, refuse aujourd’hui de nier la dangerosité potentielle d’une
future carrière. « Ils étaient clairs avec nous, tant que nous ne parlions
pas des « points chauds » radioactifs, mais rien ne prouve que le
site a été décontaminé », déclare Hélios.
« Nous sommes opposés au « gros trou » de Placo, ajoute Lisa
Leclerc, mais ce qui me préoccupe ce sont les eaux souterraines, il y a
plusieurs puits de lavage qui servaient à rincer les casemates de tirs froids,
je me demande ce qu’il y a au fond », s’interroge, suspicieuse la présidente.
« Le manque d’information nuit au site, on se retrouve toujours face au
silence alors que nous voudrions que le plus grand nombre puisse connaître
l’histoire de ce lieu hors du commun », poursuit Hélios.
Protégée par le plan local d’urbanisme (PLU) de Courtry, les fortifications
de la batterie sud sont, pour l’instant, à l’abri des projets de Placoplâtre et
de Marne-et-Chantereine qui souhaite y développer une zone d’activité.
« C’est important de vouloir maintenir la mémoire de ce secteur, mais sous
quelle forme? », déclare le maire (PS) de Courtry, Jean-Luc Pilard. « La
batterie sud a une valeur patrimoniale, elle a été bien réhabilitée par
l’Effort de Vaujours, mais le fort, il faut en faire son deuil », annonce
l’édile qui a récemment voté en conseil municipal une modification du PLU à la
demande de Placo.
Quarante ans d’expériences
M.K. | Publié le 13 juin 2013, 07h00
Avant de vider ses tiroirs à Vaujours en 1997, le Commissariat à l’énergie
atomique (CEA) a offert à ses collaborateurs, entre 600 et 800 selon les
périodes, les mémoires de ce qui est présenté comme une « aventure
atomique ». Un ouvrage a été édité par les Editions du CEA dirigées par la
Direction des applications militaires.
« Si Vaujours m’était conté, ou il était une fois dans l’est parisien
», raconte dans le détail, souvent technique, les diverses expériences
réalisées sur le site entre 1955 et 1997.
Ce sont les chefs de services et les ingénieurs de l’époque qui vantent
leurs propres faits d’armes. « Il y eut durant ces années nombre
d’incidents qui, après coup parfois, prêtèrent à rire, parfois firent froid
dans le dos », raconte ainsi André Cachin (page 50), un des fondateurs
du Centre expérimental de Vaujours, qui poursuit, « Un premier
gros tir au Fort central, l’hiver 1951, eut des effets spectaculaires… J’avais
placé une plaque de blindage de 100 kg (NDLR : sur l’explosif à base
d’uranium)… La plaque transformée en cornet fut retrouvée à 1 km de là, près de
la route de Meaux. »
Ce témoignage indique que des tirs à l’uranium ont été réalisés à l’air
libre, ce qui laisse présager que les résidus radioactifs ont été disséminés au
hasard sur le site et même à l’extérieur.
D’autres extraits parlent de « cadence de tirs qui oblige à
commander par centaine les tabourets sur lesquels les engins explosifs étaient
posés », ou encore « les charges d’explosif sont limitées
en poids et pourtant ils (NDLR : la Direction des affaires militaires)
font à court terme passer à des tailles beaucoup plus importantes ».
En 1988, les ingénieurs de Vaujours veulent expérimenter d’autres explosifs
plus réactifs, mais « bien souvent les concepteurs d’armes…
veulent de l’uranium » (page 173).