L'histoire du domaine du Chesnay - Partie 4/4 : La mort du domaine ou la lèpre des temps modernes

Préambule :

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Voici la quatrième et dernière partie de notre épopée de la rentrée, la mort du domaine du Chesnay.

Si vous voulez lire les épisodes précédents :

  1. Le domaine du Chesnay Partie 1 : Le sieur Payen
  2. Le domaine du Chesnay Partie 2 : Le Baron Daniel Roger
  3. Le domaine du Chesnay Partie 3 : Le Général Humann

Au décès du Général Humann, le comte de Germiny, époux sa fille Marie Madeleine, devint donc le nouveau propriétaire du domaine.

Le lotissement Gabinien du Chenay :

Le comte de Germiny prit la décision de le "liquider" dans son intégralité. Comme il était président de l'Association Catholique de Gagny, il ne conserva qu'une parcelle pour y faire édifier une chapelle. Il laissa le reste du domaine en pâture aux lotisseurs.

Emplacement de la cité-jardin du château du Chesnay

Pancarte rue des Marronniers qui annonce l'emplacement de la future "cité-jardin" du château du Chesnay.

Le domaine fut donc morcelé en une multitude de parcelles. Le secteur se transforma vite en un assemblage hétéroclite de "bicoques", de cabanes et de maisons dites "modernes". "Lèpre qui fit de la campagne, définitivement la banlieue." comme l'écrit Pierre Jacquet dans son article sur le domaine daté de 1969.

Dans un article de l’Echo du Raincy, daté du jeudi 22 Septembre 1927, il existe une description de la « cité-jardin du château du chesnay » :

« ''On a fondé, de ci, de là, en banlieue, des « cités-jardins ». Les lotissements qui s’ornent prétentieusement de ce titre aimable sont, à la vérité, dépourvus de tout ce qui peut constituer une cité et de tout ce qui peut constituer un jardin. A Gagny, il s’agit d’une suite de chalets au style discutable qui abritent de très nombreuses familles. L’emplacement se trouve à 35 minutes du centre de Gagny… Par tous les temps, les bambins doivent accomplir, matin et soir, un long trajet en empruntant une route rendue dangereuse par le passage incessant…'' »

Depuis les misérables « cabanes » se sont transformés en pavillons « typiques » des classes moyennes et ouvrières de la région parisienne.

L’église Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus fut donc construite, en 1929, afin de consacrer le lotissement du Chesnay. Elle fut financée, en partie, grâce à un don de la veuve du Général Humann.

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Les lotissements Chellois issus du domaine :

5.2 Les lotissements Chellois issus du domaine :

Le général Humann avait autorisé, de son vivant, le lotissement des terrains de son domaine situés à proximité de la gare de Chelles. Que le Général ait donné son accord sur ces terrains, ne signifie en aucune façon qu’il ait été favorable à la liquidation totale du domaine orchestré par le comte de Germiny après sa mort.

Ainsi le quartier des Abbesses (à ne pas confondre, même s’il est mitoyen, avec le quartier des Abbesses de Gagny-Chelles qui lui est issu de la vente en 1925 des terrains de la société Poliet et Chausson) et le quartier du Chesnay de Chelles ont été lotis sur des terres du domaine du Chesnay.

Il existe des documents datés de 1908 (Cahier des charges et plan) spécifiant le futur lotissement du « Domaine du Chesnay » à Chelles. Il semblerait que le Général Humann ait participé activement de son vivant à son élaboration, rappelons que ce dernier est décédé le 6 février 1908; car huit des quinze artères de ces lotissements chellois portent des noms de victoires de campagnes napoléoniennes (avenue d’Austerlitz, avenue Iéna, rue de Valmy, avenue Ulm, avenue Solférino, avenue Eylau…).

Ainsi à l’inverse du lotissement Gabinien, le cahier des charges rédigé en 1908 par Maître de Barde est très strict et cela peut être à la demande du Général Humann lui même.

Il précise que les futurs acheteurs ne seront permis que d’y construire des « maisons de campagne de bon aspect et faites suivant les règles de l’art, ou, en général, des habitations bourgeoises ». Les acquéreurs pourront également créer des « maisons de rapports, de boutiques et de magasins, ainsi que l’exercice de divers commerces ou métier » mais ces commerces devront en aucun cas nuire au voisinage. « Les ateliers, entrepôts ou autres dépôts seront interdits ainsi que toutes activités « qui par leur bruit, leur odeur, leurs émanations ou toute autre cause, seraient de nature à nuire aux voisins ou à les incommoder». Les hôpitaux, hospices, maison de refuge ou d’aliénés, clinique, maison de tolérance seront également formellement prohibés.

Ainsi le comte de Germiny finalisera la vente de 428 lots aux Parisiens d’Houdain et Deveaud, représentant La Société Civile Immobilière du Chesnay de Chelles.

De nos jours, ces quartiers sont parmi les plus recherchés de Chelles avec ses belles demeures en meulières et sa proximité du centre ville et de la gare.

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La destruction du château :

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Le château du Chesnay, après avoir été pendant un temps une annexe de la Mairie, fut laissé à l'abandon partiellement meublé. Après des années d'actes de vandalisme et de dégradations diverses, il fut détruit en 1967. Il fut remplacé par une cité HLM, celle de l'horloge.

La cité de l'horloge du Chesnay

Carte postale de la cité de l'Horloge du Chesnay dans les années 70

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L’enfouissement du canal du chesnay :

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Le canal de Monsieur Roger alias le canal du Chesnay, creusé par le sieur Payen, devint un égout à ciel ouvert à cause de l'urbanisation "sauvage" des années 60. Il fut donc décidé de le canaliser sous 3 mètres de profondeur en 1966 afin de masquer "la misère". Il existe encore aujourd'hui et sans aucune forme de remord, bon nombre d'habitations déversant encore leurs eaux usées dans le canal du Chesnay qui s'en va filer jusqu'à la Marne.

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La profanation de la sépulture du Baron Roger :

L'ultime « saccage » viendra lorsque la décision fut prise de déplacer les restes du Baron Daniel Roger. Ce qui fut fait le 26 juin 1920. Les restes du Baron Daniel Roger, de son fils le comte Roger du Nord, d’Henriette Guillemont, de Charles Roger et de Marie Huddelston née Roger furent donc « transférés » au cimetière de Gagny dans une unique tombe sans charme.

Lui qui avait exprimé le désir dans son testament d'être enterré dans ses terres : « ...Je désire et je demande que mon corps soit placé dans un cercueil en chêne et amené au Chesnay pour y être déposé dans une fosse qui sera creusée dans le milieu de la grande remise qui est située près du bord du canal. J'ai choisi cette place afin que ce dépôt ne puisse être ni incommode, ni désagréable à personne. L'on laissera le bois repousser sur ma fosse; je ne veux pas d'autres mausolée, et il n'existera, je pense, jamais aucun motif pour déranger mes restes... »

Le Baron Daniel Roger, maire de la ville de 1815 à 1827, figure charismatique de l'histoire moderne de Gagny, qui redonna prospérité à Gagny après les ravages de la campagne de France, qui légua, après sa mort et pour une durée de dix ans, une rente de 1500 Frs au Bureau de Bienfaisance de Gagny, qui fit des efforts importants pour aider les plus pauvres de la commune...

La place du Baron Roger renommée :

Le 19 Novembre 1970, le conseil municipal de la commune de Gagny, présidé par Mr Valenet vota au scrutin secret à 12 voix contre 8 que la place du Baron Roger soit débaptisée en « hommage à la mémoire de Général de Gaulle ». Il est même précisé dans le rapport de séance l’intervention suivante : « M. Valadas dit, qu’il n’hésiterait pas, quant à lui, à débaptiser la place du Baron Roger ».

Après avoir saccagé son domaine, profané sa tombe, rasé son château, enfoui son canal, il ne restait plus qu’à le faire disparaître de nos souvenirs.

Epilogue :

Pierre Jacquet dans son article sur le domaine daté de 1969, écrivit les phrases suivantes :

"Le Chesnay, Place du Baron Roger, évocations d'une façon de vivre révolue que les plus acharnés à la détruire regretterons peut-être l'âge venu."

"Ce vandalisme outré fit place au cours des ans à celui que chacun subit en notre temps, s'il garde par malheur pour lui quelque sensibilité. Ce vandalisme insidieux s'en prend à tout ce qui est beau, aux ruisseaux, aux arbres...Même les cerisiers de l'allée furent abattus, plus : leur nom supprimé dans l'avenue qui gardait leur souvenir."

Georges Guyonnet dans son ouvrage daté de 1944 : "Un village de la banlieue parisienne : GAGNY" a écrit page 111 :

"C'était le discrédit de la banlieue parisienne, ravalée au rang d'exutoire de la capitale... En portant l'urbanisation toujours plus loin, le chemin de fer consacra l'avilissement de nos campagnes, la ruine de la prospérité un peu importante qui en était une source de revenus et la diffusion pléthorique du lotissement dont la lèpre eut bientôt absorbé le meilleur des terres de culture."

Ces écrits plus que cinquantenaires, sont encore si actuels qu'ils n'en sont que plus troublants. Les lotisseurs continuent de lotir, les arbres ne cessent d'être abattus, les tombes et les souvenirs sont toujours souillées et nos cités "lépreuses" continuent de "survivre" dans leur manque d'identité et de repère.

Voici donc la fin de notre épopée du Domaine du Chesnay dont il ne reste plus que des souvenirs, de rares ouvrages et quelques vestiges comme autant de plaies à l'âme sur ce qui fut et n'existera plus :

Rue Marcellin Berthelot, il subsiste un ultime vestige du château : Borne du Château du Chesnay

Au numéro 9 de la rue des Pins, on peut encore voir le portail d'entrée de l'ancien Parc du château : chesnay_grilles_2008_2.jpg

En 2002, au 13bis avenue Louis Lumière (située en dessous de la cité de l'horloge), il a été découvert, lors de la coupe d'une tranchée, une galerie maçonnée et voûtée appartenant à une adduction d'eau ou à une cave : chesnay-2002-galerie

Remerciements et Bibliographie :

Nous voulions remercier les organismes et personnes suivantes pour nous avoir aider à réaliser cette épopée du domaine du Chesnay :

  • Mme Jacqueline BOUGON et la Société Historique du Raincy et du pays d'Aulnoye,
  • Mme Maryse RIVIERE, Maire-Adjoint de Gournay sur Marne, attachée à la Culture,
  • Mr Etienne DESTHUILLIERS et la Société Archéologique et Historique de Chelles,
  • Mr GUILLARD et la Société Histoire de Gournay-sur-Marne, Noisy-le-Grand et Champs-sur-Marne,
  • Les Services d'Archives des mairies de Gagny et de Gournay sur Marne,
  • Le Service des Archives Départementales de la Seine Saint-Denis,
  • Les regrettés Georges GUYONNET et Pierre JACQUET pour leurs admirables documents qui ont grandement contribué à alimenter cette étude.

Cette histoire nous a demandé des mois d'investigations, de lecture de documents anciens et de recherche de cartes postales et de photos d'époque.

Pour aller plus loin, nous ne saurons que trop vous conseiller l'achat des ouvrages et articles de Georges Guyonnet et de Pierre Jacquet auprès de la Société Historique du Raincy et du pays d'Aulnoye.

Voici les sources bibliographiques qui nous ont permis de retracer l'histoire du domaine du Chesnay :

  1. "Un village de la banlieue parisienne : GAGNY" par Georges Guyonnet, ouvrage couronné du Prix Comartin 1944. C'est la bible de l'histoire de Gagny.
  2. "Le domaine du Chesnay" par Jacquet, Pierre ( Bulletin de la société historique du Raincy et du pays d'Aulnoye, 1969, N°36, p. 26-41)
  3. "Le Général Baron Joannès, sa famille et les familles alliées" par Mr Lemonchois, Société historique du Raincy et du pays d'Aulnoye)
  4. Gagny et ses carrières de plâtres par Michel Engelman (Bulletin de la société historique du Raincy et du pays d'Aulnoye, En Aulnoye Jadis, 1996, N°25, p. 57-74)
  5. Champs - Noisy. Les dîmes...La ferme du Chesnay à Gagny par Serveau, Yves ( Bulletin municipal officiel de Gournay, Date d'édition : 1988, Collation : n°2, p. 36-37)
  6. L’évolution urbaine de Chelles, 1824 – 1911 par Jérôme Donato, la Société Archéologique et Historique de Chelles, Bulletin N°16 – 1998/1999
  7. La Seigneurie de Chelles, ses fiefs, ses lieux dit, par Annick Desthuilliers, la Société Archéologique et Historique de Chelles, Bulletin N°12 – 1993/1994
  8. Le Cartulaire de Gournay-sur-Marne, traduit du latin par la Société Histoire de Gournay-sur-Marne, Noisy-le-Grand et Champs-sur-Marne.

Commentaires

1. Le mercredi 24 septembre 2008, 15:04 par sandrine

tout simplement passionnant !
quel dommage que nous n'ayons rien gardé de ce temps, pas si loin d'ailleurs, de ce chateau, de ce faste, bref de notre patrimoine !

2. Le dimanche 10 janvier 2010, 21:44 par Marie51

Bonjour

Je tenais à vous remercier pour la façon émouvante que vous avez raconté la vie du Domaine du Chesnay à Gagny et de son proprietaire Baron Daniel Roger, maire de la ville de 1815 à 1827 ...Quelle ingratitude apres sa mort ! Meme sa sépulture n'a pas ete respectée ! Honteux !

Marie51